La lettre de la Preuve

       

ISSN 1292-8763

Hiver 2002

 

La preuve dans l'algèbre arabe

 

Mahdi Abdeljaouad
ISEFC,Tunis - Tunisie

 

L'algèbre arabe s'est développée, à partir du IXe siècle en construisant une science issue des pratiques de calcul partagées par les différents acteurs de la vie quotidienne (artisans, commerçants, jurisconsultes, scribes, calculateurs, astronomes, …). Elle s'est structurée en trois systèmes de connaissances : les équations, les irrationnels et les inconnues. Ces systèmes, dont les prémisses se trouvaient déjà dans les sciences antiques et dans la science indienne, se sont édifiées à la fois selon leur propre logique et leurs propres méthodes, mais aussi sous l'intense influence des autres systèmes, constituant à partir du douzième siècle un corpus autonome avec ses spécialistes Ahl al-Jabr (les algébristes), ses concepts, ses types de raisonnements, ses stéréotypes et bien entendu ses résultats . Rechercher le statut de la preuve dans l'algèbre arabe nous oblige donc à identifier les types de preuves spécifiques à chaque système et en particulier ceux que les algébristes reconnaissent comme valides.

1. Une typologie des équations et leurs algorithmes associés

Lorsque le calife al-Ma'moun demanda à al-Kwarizmi (780-650) de rédiger le premier traité d'algèbre arabe, il voulait mettre à la disposition des utilisateurs un outil synthétisant les connaissances éparses concernant la résolution des problèmes de la vie courante. L'opuscule d'al-Khwarizmi est très court, son objectif annoncé est de codifier une pratique partagée par les calculateurs : la mise en équation des problèmes et la résolution des équations linéaires et quadratiques à coefficients entiers ou fractionnaires positifs. Il identifie six équations canoniques auxquelles, en principe, tout problème doit se ramener et propose un algorithme pour la résolution de chacune d'entre elles. L'originalité de ce travail ne se trouve pas dans les algorithmes eux-mêmes, dont on retrouve certains chez les Egyptiens, d'autres chez les Babyloniens et la plupart chez les Indiens, mais dans la volonté de l'auteur de classer les équations canoniques et de fixer un vocabulaire à la fois pour les objets mathématiques : mãl (un bien), jidhr (une racine) et ('adãd) (un nombre donné), pour les relations et même pour les raisonnements. Ce vocabulaire est familier à tout lecteur capable de calculer avec des entiers naturels ou des fractions, les opérations : addition, soustraction, multiplication, division et extraction de la racine carrée, se pratiquent communément en arithmétique.
   Les propriétés de commutativité et de distributivité se montrent par analogie avec celles sur les nombres entiers. Quant aux raisonnements nouveaux, ils sont bien décrits, les termes qui les désignent sont inclus dans le titre même de l'ouvrage : Kitab al-Jabr wal-Muqabala, le premier al-Jabr (restauration) désigne l'opération de se débarrasser des termes négatifs apparaissant dans l'un des membres de l'équation et le second terme al-Muqabala (opposition) est l'opération de réduction des termes semblables, c'est-à-dire ceux de même degré.
L'algorithme de résolution d'une équation canonique est décliné à partir d'un exemple générique d'équation numérique aux coefficients simples et dont au moins une racine est positive quasi évidente. C'est une suite d'instructions stéréotypées :

  • prendre la moitié du nombre de Jidhr
  • la multiplier par elle-même
  • soustraire du résultat les 'Adad
  • prendre la racine carrée du résultat
  • soustraire ce résultat de la moitié des Jidhr, vous trouvez une première solution.
  • ajouter le résultat à la moitié des Jidhr, vous trouvez une deuxième solution.

Ainsi dans l'exemple suivant : Un Mal et vingt et un égalent dix Jidhr, que l'on traduirait en notation moderne par x2 + 21 = 10x , dix est le nombre de Jidhr et vingt et un sont les 'Adad. L'algorithme revient à prendre la moitié de dix, c'est-à-dire 5, qu'on multiplie par lui-même; on obtient 25 dont on soustrait la constante 21 et on trouve 4. Sa racine carrée 2 est alors soustraite de 5 (moitié du coefficient de x); on trouve 2, première racine de l'équation donnée. Si la racine carrée 2 est ajoutée à 5, on trouve 7, deuxième racine de l'équation.

   Ces exemples génériques se retrouveront dans les traités d'algèbre de la plupart des successeurs d'al-Khwarizmi.
   Un terme nouveau shay (une chose) est emprunté à la langue commune, il correspond à la chose cherchée. On l'emploie pour identifier dans le problème le nombre à déterminer à partir des nombres donnés. Une équation devient alors la mise en relation binaire, par l'intermédiaire de l'égalité, de trois espèces (que nous nommerions aujourd'hui des monômes) : les choses (shay), leurs produits par eux mêmes (mãl) et les nombres donnés dans l'énoncé ('adãd). Le statut de l'inconnue va rapidement évoluer, nous en reparlerons au paragraphe 4.
   Les algorithmes de résolution des équations quadratiques s'étant complètement standardisés, ils furent formulés symboliquement par les algébristes maghrébins (mais par eux seulement), dès le XIIIe siècle. Langue symbolique utilisée dans des raisonnements heuristiques, (nous dirions aujourd'hui dans les calculs "au brouillon") avant d'être traduite dans la langue rhétorique, nécessaire à la communication des résultats. Dans certains traités d'algèbre, comme celui al-Qalasadi (1412-1486), les symboles maghrébins remplacent même leur équivalent rhétorique. L'exemple suivant illustre parfaitement ce glissement des raisonnements stéréotypés aux écritures symboliques :



L'enchaînement logique du raisonnement se traduit par une suite d'équations ou de résultats intermédiaires, chacun occupant une ligne et se suivant de haut en bas, sans l'emploi de connecteurs logiques. Les règles sont implicites, mais visibles.

Les équations de degré trois

La typologie des équations quadratiques sera étendue aux équations de degré trois par Omar al-Khayyam (1048-1131) et par Sharaf ad-Din at-Tusi (1135-1213) qui ne parvenant pas à leur proposer de solutions par radicaux leur chercheront des solutions géométriques. Nous évoquerons leur approche au paragraphe 3.

2. L'arithmétique des nombres irrationnels

Alors qu'al-Khwarizmi n'utilisait que des entiers naturels et des fractions comme coefficients des équations canoniques traitées. Ses successeurs immédiats, comme Abu Kamil (850-930) ou plus tardifs comme al-Karaji (953-1028), vont étendre les calculs algébriques aux équations dont les coefficients peuvent être irrationnels. L'arithmétique des irrationnels, qui était embryonnaire chez al-Khwarizmi, devient un chapitre autonome préliminaire à toute théorie des équations. La boite à outils est explicitement euclidienne, comprenant le chapitre X des Eléments d'Euclide, les raisonnements et les vérifications étant géométriques.
   On note cependant deux évolutions : d'une part, la naturalisation des méthodes de calcul sur les radicaux laissant de côté les justifications géométriques, et, d'autre part l'invention par les Maghrébins d'un symbolisme spécifique aux radicaux similaire au symbolisme algébrique. Dès lors, on raisonne sur les radicaux comme on raisonne sur les nombres en appliquant les propriétés de commutativité et de distributivité des nombres irrationnels.

3. Les preuves géométriques

Ce qui distingue al-Khwarizmi de ses prédécesseurs de l'Antiquité ou de l'Inde, c'est son soucis de justifier les algorithmes de résolution des équations quadratiques. "J'ai décris, écrit-il, les algorithmes exacts de résolution [de ces équations] et j'ai établi, pour chacun un diagramme qui permet de déduire la justification [du résultat]". Cette partie du traité d'al-Khwarizmi ne sert à rien au calculateur, mais elle permet de montrer que ce travail est scientifique, en ce sens que ses objets mathématiques ont été définis et les propriétés qui en découlent démontrées. Cependant, ces preuves sont pragmatiques, elles s'appuient sur des diagrammes que l'on place sous les yeux et que l'on suit pas à pas en décrivant à l'aide du langage courant les étapes du raisonnement : Ajout ou soustraction de figures au diagramme initial, application des aires ou respect de l'homogénéité des termes sur lesquels on opère sont bien des pratiques euclidiennes (cf Arsac, 1999), mais les références à Euclide sont inexistantes et son influence directe non avérée.
   Notons enfin qu'al-Khwarizmi justifie les algorithmes de résolution d'équations quadratiques dont les coefficients sont des entiers naturels particuliers. Ces équations sont considérées comme des exemples génériques et seront repris par la plupart de ses successeurs, même ceux qui adoptent de nouvelles preuves.
   Les preuves pragmatiques présentées par al-Khwarizmi et basées sur une lecture directe des diagrammes n'ont satisfait ni la communauté des géomètres, ni celle naissante des algébristes ; les premiers considérant que tout raisonnement doit s'appuyer explicitement sur les Eléments d'Euclide et les seconds souhaitant se débarrasser de cette tutelle. Thabit ibn Qurra (826-900) fait partie des premiers, alors qu'Al-Karaji bien qu'adoptant systématiquement leur démarche, crée les conditions pour que la tutelle euclidienne s'estompe, et peut être considéré comme le véritable inventeur de l'algèbre en tant que science établie, avec sa terminologie, ses définitions, ses propositions identifiées et ses preuves originales.

Les preuves euclidiennes

Spécialiste des œuvres mathématiques grecques et gardien du Temple, Thabit ibn Qurra propose, dans un court opuscule intitulé "Correction des problèmes d'algèbre par des preuves géométriques", les premières preuves "acceptables" pour la communauté des géomètres. La langue et le type de raisonnements sont ceux d'Euclide. La preuve est partagée en deux parties, la première a pour but d'associer à l'équation quadratique une figure géométrique, la seconde fait un appel direct dans les arguments à l'une des propositions du Livre II des Eléments. Les formes logiques 'P à Q' et 'Q car P' sont très souvent utilisées. Thabit prouve l'algorithme pour des équations dont les coefficients sont des nombres quelconques représentés par des segments et non sur des cas particuliers, en ce sens sa démonstration possède un caractère plus général et plus intellectuel que celle d'al-Khwarizmi. Il termine chaque démonstration en montrant la concordance de ses résultats avec ceux obtenus par ahl al Jabr (les algébristes). (Van der Waerden, pp.18-20 ou Berggren, p.106-8).
   Tout en citant telle qu'elle la preuve pragmatique d'al-Khwarizmi en la qualifiant de "visuelle", Abu Kamil, qui se situe dans la communauté des algébristes, présente une nouvelle démonstration géométrique introduite par le terme "la preuve". Il enrichit la boite à outils en y incluant de nombreuses identités algébriques démontrées géométriquement à la manière d'Euclide et à partir de ses Eléments. Décrivant le travail d'Abu Kamil, Sesiano précise que "Ce besoin de justification more geometrico du raisonnement algébrique, regardé comme nécessaire pour une branche qui n'avait pas encore gagné son autonomie, fut poussé si loin que l'on trouve souvent dans les problèmes, en plus de la résolution algébrique, une déduction de la formule sur une figure". (Sésiano, p.71)
   L'algébriste al-Karaji reprend les preuves d'al-Khwarizmi et celles d'Abu Kamil. Systématisant leur travail et structurant sa présentation, il commence par plusieurs chapitres introductifs qui complètent la boite à outils algébrique en y plaçant toutes les propositions d'arithmétique des entiers naturels et des fractions et aussi celles des irrationnels quadratiques et en y ajoutant un maximum d'identités algébriques, toutes démontrées géométriquement à partir des Livres II et VII à X des Eléments. Une fois le concept d'inconnu précisé, il terminera son œuvre la théorie des équations et par une multitude de problèmes qu'elle permet de résoudre.
   L'obstacle majeur rencontré pour légitimer les raisonnements algébriques, concerne la nature du produit de nombres : en effet, alors que le nombre lui-même pouvait être représenté par un segment de droite, le produit de deux nombres par l'aire d'un rectangle et de trois nombres par le volume d'un parallélépipède, le produit de plus de trois nombres n'était plus représentable. "Et si l'algébriste emploie le carré-carré [c'est-à-dire la puissance quatrième d'un nombre] dans des problèmes de géométrie, nous dit Omar al-Khayyam (1048-1131), c'est métaphoriquement, et non pas proprement, étant donné qu'il est impossible que le carré-carré fasse partie des grandeurs" (R.Rashed-B.Vahabzadeh, p.122)
   Al-Karaji contourne la difficulté en créant le champ des 'nombres connus' en parallèle au champ des 'nombres inconnus'. "Apprends, dit-il, qu'opérer dans le champ des connus les gardent dans ce champ quelque soit l'opération" (Anbouba, p.47). Il ne s'agit donc plus de raisonner sur des figures géométriques mais directement sur les nombres, pouvant être eux-mêmes le résultat de plusieurs opérations successives sur des nombres. La boite à outils de l'algèbre intègre alors toutes les techniques simples, mais aussi extrêmement complexes, de l'arithmétique numérique, en particulier celle élaborée par Diophante et commence à se libérer de la tutelle de la géométrie.

Une théorie géométrique des équations

Depuis l'Antiquité, de nombreux problèmes de géométrie (tels celui de la trisection de l'angle ou celui des deux moyennes) se ramènent à certaines équations du troisième degré. Omar al-Khayyam, ramassant les résultats épars, a cherché à classer toutes les équations de degré trois et à les résoudre. La typologie obtenue permet d'identifier "tous les types d'équations du 3e degré, classées de façon formelle selon la répartition des termes constants, du premier degré, du second et du troisième degré, entre les deux membres de l'équation. Pour chacun des types, al-Khayyam trouve une construction d'une racine positive par l'intersection de deux coniques" (R.Rashed, p.43). Omar al-Khayyam lui-même se situe complètement dans un cadre euclidien, en précisant les concepts de grandeur et d'unité de mesure utilisés et en respectant les principes d'homogénéité des espèces sur lesquelles on opère. Il se réfère continuellement aux chapitres géométriques et arithmétiques contenus dans les Eléments, ainsi qu'aux résultats d'Apollonius pour les propriétés des coniques. Pour al-Khayyam, "la démonstration numérique se conçoit lorsqu'on conçoit la démonstration géométrique" (R.Rashed-B.Vahabzadeh, p.140).
   La théorie géométrique des équations atteint son apogée avec Sharaf ad-Din at-Tusi (1135-1213), qui non seulement reprend les travaux d'Omar al-Khayyam mais en approfondit les démonstrations en se plaçant à l'intersection de la géométrie euclidienne des solides et de la géométrie des coniques dont il prouve les propositions les plus utiles. Ses démonstrations sont générales, les coefficients des équations étant quelconques. Il montre comment manipuler les espèces pour que le résultat soit homogène : ainsi par exemple, dans l'équation x = q , q est un segment de longueur q , alors que dans x 3 = q , le nombre q représente q fois le volume d'un cube unitaire. Les propriétés métriques des rectangles et des parallélépipèdes sont implicites, alors que celles des coniques sont explicitement invoquées. L'existence de solutions positives sont le plus souvent tributaires de la vérification de conditions d'existence, que Sharaf ad-Din at-Tusi démontre au moyen de raisonnements géométriques, originaux et extrêmement élaborés basés à la fois sur la lecture d'un diagramme et sur une succession de syllogismes. Il complète chaque solution géométrique par une solution numérique s'inspirant des techniques indiennes de détermination (sur une table à poussière) des racines carrées et cubiques d'un entier naturel, mais il ne se contente pas d'exposer l'algorithme sur un cas numérique, supposé générique, il justifie aussi géométriquement chaque pas de calcul.
   La théorie géométrique des équations a atteint avec Omar al-Khayyam et Sharaf ad-Din at-Tusi un tel degré de complexité, tant dans ses méthodes, ses raisonnements et ses résultats, qu'elle ne sera plus dépassée par les mathématiciens arabes qui leur succèderont.

4. Une arithmétique des expressions polynomiales

Des preuves naïves …

Lorsque al-Khwarizmi s'essaye à justifier la somme des deux trinômes, que nous noterions en symboles modernes : 100 + x2 + - 2x et 50 + 10x - x2 , il constate son incapacité à représenter cette somme par une figure géométrique. Il écrit : "Ne pouvant la montrer par un diagramme, sa nécessité est donc langagière". Il va donc procéder comme dans la pratique courante qui permet d'opérer sur des grandeurs de même nature (ajouter des nombres aux nombres, des racines aux racines ou des carrés aux carrés). Une arithmétique naïve des expressions algébriques est née, son référant principal étant l'arithmétique des entiers naturels et des fractions. Avec Abu Kamil, puis al-Karaji, cette arithmétique va se constituer en science autonome.

… aux preuves algébriques acceptées

S'interrogeant sur le statut de l'algèbre et le comparant à celui de la géométrie, al-Karaji écrit : "L'une se fonde sur la ligne et l'autre sur la chose [Shay] …Celle-là possède une figure perçue par la vision, alors que celle-ci possède une forme connue de manière innée, conçue par l'esprit ... La chose, pour cette définition, est comme la ligne que le géomètre rend connue pour pouvoir s'en servir comme mesure et ainsi toutes les lignes qui lui sont commensurables sont connues …" (S.Ahmad, p.72). Reprenant presque mot pour mot le prologue de l'Arithmetica de Diophante, traduit en arabe par Qusta ibn Luqa (870-912), al-Karaji fixe définitivement la terminologie algébrique arabe : al-Majhoulãt (les inconnus), ont composés de Shay (la chose), de ses puissances successives (mãl , kaãb, mãl-mãl, mãl-kaãb, etc) et de leurs inverses. On y opère formellement en multipliant et divisant les inconnus entre eux, mais aussi en ajoutant ou soustrayant les uns aux autres et en extrayant leurs racines carrées, ce qui permet de définir de nouveaux inconnus (qui ne sont autres que les expressions polynomiales : monômes, binômes, trinômes, etc). al-Karaji précise : "…de même, [opérer] dans le champ des inconnus permet de les garder dans ce champ; cela veut dire qu'il restent toujours inconnus tant qu'ils ne figurent pas dans une équation" (Anbouba, p.47).
   Dans ce champ, presque tous les énoncés avaient été préalablement vérifiés géométriquement, leur emploi peut se faire sans rappel de leur validité. Al-Karaji introduit parfois cette manière de procéder par l'expression "preuve à la manière de Diophante".

La représentation par tableaux

Disciple auto-proclamé d'al-Karaji, l'algébriste As-Samaw'al (1130-1174), désigne les polynômes comme étant les expressions aux images connues . En fait, les images connues dont il parle sont les coefficients des polynômes, il les écrit en numération décimale arabo-indienne et les représente dans un tableau, les calculs effectifs se faisant sur une planche à poussière. Ainsi, par exemple, " Trois Kaâb plus deux Mal, moins sept Shay, quatorze Dirham et trente-sept parties de Mal " , c'est-à-dire en symboles modernes 3x3 + 2x2 - 7x + 14 + 37x-2 , sera représentée ainsi :

Kaab Mal Shay Dirham Juz'u Shay Juz'u Mal
3 2 -7 1 4 0 3 7

La première ligne du tableau contient le nom des puissances (al-Maratib) de l'inconnu ou de leurs inverses. La deuxième ligne contient les " images connues ", c'est-à-dire les coefficients écrits en chiffres indiens. A l'exception d'un des deux termes extrêmes (celui de plus haut degré ou celui de plus bas degré), les autres coefficients peuvent être négatifs, l'absence d'une puissance étant marquée par le zéro.
Tous les algorithmes de l'arithmétique arabo-indienne peuvent alors être généralisés par analogie à l'arithmétique des polynômes.

La représentation symbolique maghrébine

Alors qu'en Orient, l'analogie entre l'écriture décimale des nombres entiers et celles des expressions aux images connues a entraîné l'utilisation de la planche à poussière et des tableaux, cette analogie favorisa au Maghreb le développement d'une écriture symbolique des expressions polynomiales, comme le montre la représentation hésitante suivante de 8x9 + 48x8 + 132x7 + 208x6 + 198x5 + 108x4 + 207x3 :


Conclusion

Nous venons d'évoquer d'une manière rapide et schématique le statut de la preuve dans l'algèbre arabe en essayant d'insister sur l'enchevêtrement des systèmes de connaissances en jeu : les pratiques de calcul du IXe siècle, l'arithmétique et la géométrie euclidiennes, le calcul décimal et l'analyse numérique indiens, les méthodes d'analyse numérique diophantiens, tous de mieux en mieux maîtrisés par les algébristes arabes qui construisent ainsi une science autonome dont les concepts et les raisonnements évoluent du stade du balbutiement initial au stade de la confiance en soi et qui , à son apogée, se permet même l'usage d'un certain type de symbolisme algébrique. Les études, citées ci-dessous dans la bibliographie, permettent de mieux cerner ces transformations et d'en saisir la complexité.

Bibliographie

Ahmad Salah et Rashed Roshdi (1972), Al-Bahir en algèbre d'as-Samaw'al, édition de l'Université de Damas.
Anbouba Adel (1964), L'algèbre al-Badii d'al-Karaji, Introduction en français, Publications de l'Université libanaise, Beyrouth.
Berggren J.L. (1986), Episodes in the Mathematics of Medieval Islam, Spinger-Verlag, New York.
R.Rashed-B.Vahabzadeh (1999), al-Khayyam mathématicien, Librairie Albert Blanchard, Paris.
Rashed Roshdi (1997), (sous la direction de) Histoire des sciences arabes, Tome 2: Mathématiques et physique, Seuil, Paris.
Sesiano Jacques (1999), Une introduction à l'histoire de l'algèbre, Presses polytechniques et universitaires romandes, Lausanne.
Van der Waerden (1980), A History of Algebra, Springer-Verlag, New York.

 

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Mahdi Abdeljahouad seront
publiées dans la Lettre de la Preuve Printemps 2002

© Mahdi Abdeljahouad

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