La lettre de la Preuve

       

ISSN 1292-8763

Hiver 2001

  

Quelques idées après ICME 9

 

Une interview de

Paolo Boero
Département de Mathématiques
Université de Gène, Italie

par Maria Alessandra Mariotti

Le Groupe d'Étude sur la Preuve (TSG-12) s'est réuni à Tokyo durant l'été 2000, lors la 9ème Conférence Internationale pour l'Éducation Mathématique (ICME). Nous avons posé quelques questions à Paolo Boero, co-organisateur et co-président de TSG-12 avec G. Harel et C. Maher. L'idée était de dégager les principaux aspects et les principales tendances qui émergeraient des communications présentées.
  L'interview met en évidence la représentativité et la diversité des contributions, et renvoie aux diverses tendances de recherche dans le domaine "de la Preuve et des preuves dans l'Éducation Mathématique".

Quelles sont les tendances actuelles des études de la preuve en mathématique, la démonstration ?

Une distinction de base peut être dessinée entre des tendances concernant les méthodes de recherche et celles concernant les questions étudiées.
  Pour ce qui concerne les méthodes de recherche, les études purement quantitatives des comportements d'élèves -- qui étaient plutôt communes dans le domaine il y a quelque temps -- sont de moins en moins fréquentes, ici d'ailleurs comme dans d'autres secteurs. Les études qualitatives du comportement des élèves engagés ponctuellement dans la résolution de problèmes de preuve ont diminué, au profit d'analyses qualitatives -- plus pertinentes -- de l'évolution des comportements individuels sur le long terme. Dans le même sens, les analyses de comportements individuels dans des tâches ponctuelles sont menées parallèlement à des analyses portant sur les interactions (entre élèves, ou bien entre l'enseignant et des élèves) dans des tâches proposées soit à de petits groupes, soit à la classe entière.
  Pour ce qui concerne les questions traitées, l'orientation dominante est celle d'études sur l'enseignement et l'apprentissage de la preuve en relation avec d'autres aspects de l'enseignement et de l'apprentissage des mathématiques en général. Ainsi les chercheurs se sont intéressés, par exemple, aux rapports entre argumentation et démonstration ; notamment dans le cadre de thèmes (mathématique ou applications des mathématiques) qui pourraient étayer un développement plus complet et plus rapide de compétences et de capacités dans la construction de preuves, ou dans l'étude du rôle que les technologies de l'information et de la communication pourraient avoir dans la stimulation de l'apprentissage de la preuve. Dans ce dernier cas, il est remarquable que l'intérêt d'une partie de la communauté de recherche a changé, passant de l'identification des potentialités l'apprentissage assisté par l'ordinateur à l'étude et la modélisation des aspects spécifiques de l'enseignement et des processus d'apprentissage qui peuvent être promus par de tels environnements.
  Plusieurs projets de recherche traitent de la question des conceptions des enseignants et des élèves à propos de la démonstration, aussi bien que celle de l'influence que de telles conceptions peuvent avoir sur les comportements des enseignants et des élèves dans son enseignement et son apprentissage.
  Finalement, il est remarquable que l'intérêt pour les aspects historiques et épistémologiques de la preuve constitue une tendance de recherche dont la pertinence s'est renforcée (depuis les années 80), répondant à un besoin de beaucoup de chercheurs dans le domaine.

Les critères, suivis dans le choix des contributions au TSG 12, suggèrent quelques questions. Par exemple, je cite : à propos de la diversité des pays et des paradigmes de recherche (pour couvrir un large spectre d'orientations) : de quelle façon les différences culturelles influencent-elles la recherche dans le domaine de la preuve en mathématique ? Pouvez-vous nous donner un exemple ?

Je voudrais commencer avec un exemple : l'importance permanente de la démonstration dans les programmes d'études français et les oscillations dans les indications fournies par NCTM (1989 et 2000) pour les Etats-Unis est sous l'influence des positions culturelles différentes quant aux priorités dans l'enseignement des mathématiques dans ces deux pays. La diversité de telles positions peut aussi expliquer -- au moins partiellement -- les caractéristiques différentes de la recherche sur la preuve effectuée dans ces deux pays pendant les vingt dernières années.
  D'autres différences viennent des paradigmes spécifiques de la recherche en éducation adoptés par des chercheurs (parfois dans le même pays) : par exemple, le choix d'un paradigme "constructiviste" plutôt que "socioculturel" a des conséquences souvent importantes sur la détermination de l'objet d'étude, sur la voie dans laquelle des travaux expérimentaux sont menés et, finalement, sur les instruments utilisés pour analyser les comportement des élèves.

Le thème de la démonstration est de nos jours traité dans une vaste littérature : est-ce qu'il est raisonnable de se demander s'il y a des résultats des actions de recherche citées qui peuvent être considérés comme acquis, dans le sens qu'ils sont généralement admis par la communauté et ne sont plus objets de débats ? Si tel est le cas, est-ce qu'il est possible d'identifier des transformations dans la conception des programmes scolaires qui puissent être liées à ces résultats ?
  Je pense que de nos jours (au contraire d'il y a dix ans) il y a un consensus général sur le fait que la recherche sur la preuve concerne un objectif important de la formation mathématique : un tel objectif est strictement mélé a d'autres objectifs (par exemple le développement des compétences logico-linguistiques au sein des mathématiques), qui exigent des stratégies d'intervention à long terme et dans la perspective d'une conception globale des programmes scolaires.

Je pense aussi qu'il y a un large consensus sur le fait qu'il n'est pas possible de séparer l'analyse des questions liées à l'apprentissage de celle des questions liées à l'enseignement, et cela tient pour l'étude de la preuve en mathématique aussi bien que pour un autre objet d'étude dans l'éducation mathématique.
  Quant aux transformations dans la conception des programmes, nous pouvons les mettre en évidence par le changement des standards NCTM-2000 relativement aux standards de 1989. Ces transformations ont été déterminées non seulement par des pressions du monde universitaire, mais aussi par une nouvelle prise en considération -- dans la recherche en éducation - de l'importance de la preuve dans l'activité mathématique et dans la formation mathématique.

Est-ce qu'il est possible de décrire un cadre générale dans lequelle pourraient se retrouver des chercheurs différents ? Ou plutôt, les divergences sont-elles si profondes quelles puissent déterminer des oppositions ou des points de vue très contrastés ?

Des divergences profondes existent, elles concernent le rôle des études cognitives, celui des études culturelles et épistémologiques, et de l'étude sociologique dans la recherche en éducation pour ce qui concerne la preuve en mathématique, de même que les cadres théoriques choisies pour effectuer de telles études.

L'analyse historique et épistémologique a joué un rôle crucial dans les recherches que tu as conduites. Qui est la contribution de cette sorte d'analyse ?

C'est important, de différents points de vue : pour organiser les différentes pratiques didactiques existantes concernant la preuve en mathématique, pour identifier les principaux aspects "de la culture de preuve" qui doivent être examinés expérimentalement et théoriquement , pour orienter une organisation didactique innovante.

Quelles sont les tendances qui peuvent être considérées comme innovantes, sur lesquelles les études se concentreront dans les années qui viennent ?

- La preuve et la construction des objets mathématiques (en relation avec l'étude de la constitution discursive des concepts mathématiques et des procédures, qui constituent une tendance importante dans la recherche actuelle en éducation).

- Une analyse comparative "des cultures de preuve" que l'on propose dans les écoles de différents pays, en relation avec les spécificités culturelles des programmes scolaires et, plus généralement, avec les caractéristiques des valeurs culturelles de chaque pays.

- Analyse des conceptions de la preuve des enseignants et des élèves.

- Modélisation des processus d'enseignement et d'apprentissage de la preuve, en prenant en compte de nombreux critères (en relation avec les divers paradigmes choisis par les chercheurs).

Si tu devais indiquer un thème de recherche émergent, lequel choisirais-tu ?

Le choix d'un thème unique n'est pas facile et il serait sous l'influence de mes préférences personnelles. Il me semble que l'étude des composants divers "de la culture de preuve", et des stratégies d'enseignement et d'apprentissage qui peuvent permettre aux élèves de s'approprier une telle culture, désigne une question de recherche qui est assez large pour inclure plusieurs thèmes différents qui ont émergé ces toutes dernières années.

  

  

traduction libre
Nicolas Balacheff
avec l'aide de "Reverso" (version Mac)

Paolo Boero    

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