La lettre de la Preuve |
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ISSN 1292-8763 |
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Argumentation et démonstration au Japon Yasuhiro Sekiguchi Mikio Miyazaki
Ce texte est une réponse à certains des
points soulevés par Nicolas Balacheff à propos
des relations entre argumentation et démonstration
dans le contexte d'une culture. Nous discutons ces points
dans une perspective japonaise, en nous concentrant sur la
façon dont la culture japonaise affecte
l'argumentation, la démonstration et leurs
relations. (1) que l'argumentation est un type verbal de communication, Dans ce qui suit, nous décrivons d'abord les styles de communication dans la culture japonaise, les comparant avec ceux de la culture occidentale. Ensuite, nous considèrons l'argumentation et la démonstration dans les écoles japonaises, nous concentrant sur la façon dont elles sont liées aux styles généraux de communication dans la culture japonaise. Communication et argumentation dans la culture japonaiseDans la culture occidentale, le but de la communication
est de valider une affirmation. La discussion est un outil
pour explorer le problème en question. Exprimer sa
propre opinion et la confronter à d'autres est
conçu comme un moyen d'approfondir la
compréhension mutuelle. Ici, une meilleure
compréhension des différences entre les
opinions est considéré comme facilitant de
bonnes relations humaines. Aux Etats-Unis les problèmes sont définis avec précision, les causes des difficultés sont identifiées, des propositions alternatives sont proposées et mises à l'épreuve, les décisions façonnées dans un processus d'argumentation et de compromis. Au Japon, la prise de décision suit une voie différente. La discussion peut se dérouler, jusqu'à un certain point, sans une claire énonciation du problème. Les participants avancent avec précaution, tentant d'élucider ce que peuvent être les opinions des autres sans les interroger directement. Différents points de vue sont évoqués, de telle façon qu'ils pourront être plus tard restreints ou retirés s'ils rencontrent une résistance. Le leader, dans le cas américains, met au défi ou précise les points de vue exprimés. Il exerce une pression pour qu'une décision soit prise dans le temps prévu pour cela. Dans le cas japonais, le leader alimente ou est à l'écoute de tout thème qui pourrait recueillir un soutien unanime. A l'apparition de toute différence d'opinion sérieuse, la réunion peut être suspendue ; peut-être, à un autre moment, les participants seront-ils plus proche d'un même état d'esprit. Dans le cas contraire, le sujet en question doit être reporté jusqu'à ce que chacun soit bien disposer pour le traiter. Les différences apparaissent être soulignées et encouragées aux Etats-Unis comme une façon de stimuler une plus large variété de solutions possibles. Les différences apparaissent être minimisées ou supprimées au Japon au bénéfice de la préservation de l'harmonie du groupe. (Barnlund, 1975, pp. 136-137) Ce style japonais de communication pourrait être
appelé le "modèle collectif"
(NdT: "group model" dans le texte), il a son
origine dans le confucianisme de la Chine ancienne (Moeran,
1984, 1989/1993). Cette métaphore [ARGUMENTER C'EST SE BATTRE] (NdT: [ARGUMENT IS WAR] dans le texte) est attestée dans notre langage de tous les jours par une grande variété d'expressions : ... Cela tient aussi pour un seul argument. Toulmin (1958 et Toulmin, Rieke et Janik 1984) a décrit un format d'argument (le "modèle de Toulmin") qui comprend quatre composants : "affirmation", "fondement", "garantie" et "qualificateur" (indique la force d'une garantie). Ce sont des réponses à des questions d'un challenger (réel ou hypothétique). Une "affirmation" est un énoncé qui clarifie le sujet d'une discussion et la position que le proposant tente de défendre à ce propos. Les "fondements" sont les données ou les informations sur lesquelles l'affirmation est basée, ils permettent de répondre à des questions comme "sur quoi vous basez-vous ?". Les "garanties" sont là pour justifier la pertinence des fondements de l'affirmation, elles prennent la forme de règles, de principes, des standards, etc. permettant de répondre à des questions du type "comment en arrivez-vous là ?". Les "qualificateurs" sont là pour assurer que les garanties sont fiables et qu'elles sont applicables au contexte actuel, répondant à leur mise en question. Ainsi, la strucure d'un argument reflète le style occidental de l'argumentation, comme van Eemeren, Grootendorst, Jackson et Jacobs (1997) le soulignent: La tructure d'un argument [dans le modèle de Toulmin] est réellement le produit d'une interaction engageant chacun de ses composants défini par une fonction interactionnelle -- comme réponse à des questions particulières sur l'affirmation initiale ou à sa mise en question. (p. 217) Par contraste, au Japon, pour évoquer l'échange de propos en public ou en privé est habituellement on utilise le mot "hanashi-ai" ; ce mot signifie conversation ou consultation mutuelle, et ne signifie pas guerre. Parce que les personnes essaient d'éviter une confrontation directe, elle tente d'avancer leurs opinions de façon ambigüe de telle façon qu'elles puissent les abandonner ou les changer aisément si d'autres indiquent leur opposition (Nakayama, 1989). Aussi, les protagonistes de "hanashi-ai" ne mettent-ils pas en général en avant des moyens de défense logique tels que "fondement", "garantie" ou "qualificateur". Même dans les situations dans lesquelles le modèle d'échange social fonctionne, les personnes tendent à éviter d'utiliser les armes de la logique parce qu'elles ont le sentiment que l'argumentation logique est impersonnelle ("katakurushii"). Dans la vie ordinaire, logique ("ronri") est souvent pris pour "rikutsu". Ce dernier mot est souvent utilisée de façon dérogatoire. Les arguments qui soulignent "rikutsu" sont considérés comme étant superficiels et ne touchant pas l'audience. Ainsi, même dans le modèle de l'échange social, l'argumentation logique n'a pas la faveur. Preuve et argumentation dans les classes japonaises"Démonstration" est traduit par "shoumei" en
japonais. Dans ce qui suit, nous décrivons d'abord
où le concept "shoumei" est situé dans
l'enseignement des mathématiques au Japon, et nous
discutons comment la culture japonaise affecte son
enseignement. Ensuite nous discutons de l'argumentation dans
la classe de mathématique au Japon, et de la
façon dont elle reliée à la culture
japonaise. La démonstration mathématique en classeLes leçons de mathématiques dans les
écoles japonaises mettent l'accent sur le "wakaru"
(compréhension) des idées mathématiques
(e. g., Stigler & Hiebert, 1999). Mémoriser des
formules ou développer la dextérité, ne
sont pas considérés comme des thèmes
centraux de l'apprentissage. Dans les mathématiques
scolaires, nous insistons sur l'importance qu'il y a
à poser la question du "pourquoi " dans la
réflection : les questions "pourquoi ?" encouragent
l'interrogation sur les origines" (causes, prémisses
fondamentales) des phénomènes
étudiés et la description d'un chemin (causal
ou logique), "sujimichi", qui conduise des origines au
phénomène. Répondre à la
question "pourquoi ?" est appelé "wake" ou "riyu"
(raisons). Les activités pour trouver et expliquer
"wake" ou "riyu" sont considérées comme
essentielles pour l'apprentissage de la démonstration
au Japon (cf. Kumagai, 1998). Ceci recouvre la description
des processus de résolution de problème (par
exemple : écrire une équation pour
représenter une situation-problème) et la
justification des procédures et étapes
employées dans ces processus (par exemple : pourquoi
avez-vous fait cela ?). Argumentation dans les classes de mathématiquesComme cela a déjà été dit,
offrir au débat public des arguments personnels n'est
pas encouragé par la culture japonaise : l'opposition
est habituellement exprimée indirectement ou par
uneuphémiquement. Cependant, à l'école,
les enfants ne sont pas entièrement socialisé
au sens de la culture adulte. Ils expriment parfois
directement leur opposition ou désaccord au cours de
discussions dans la classe, et peuvent mettre en danger
l'harmonie de la classe. L'enseignant joue un rôle
important dans cette circonstance, il exprime du respect
pour les idées des enfants, qu'elles soient correctes
ou non. L'enseignant essaie d'utiliser le conflit entre les
enfants comme une bonne occasion pour approfondir leur
compréhension de ce qui est en question. Ainsi, il ne
prend pas en charge le conflit seulement comme le
problème des enfants qui y sont engagés, mais
au contraire il le tourne en un problème pour la
classe entière : le conflit et partagé entre
les membres de la classe, il devient "notre" problème
(cf. Lewis, 1995, pp. 125-130). L'enseignant encourage la
classe entière à y réfléchir et
à faire des suggestions. Tous les membres de la
classe sont sensés travailler ensemble à
trouver une solution au problème, de telle
façon que la solution obtenue permette de restaurer
l'harmonie de la communauté de la classe. Remarques de conclusionNous avons indiqué que l'enseignement de la démonstration et la structure de "hanashi-ai" dans les classes japonaises sont plus consistant avec les styles de communication japonais qu'avec le modèle de Toulmin. On peut se demander si l'enseignement de la démonstration et la structure des discussions dans la classe de mathématiques occidentale sont consistants avec le modèle de Toulmin. Il ne semble pas que cela soit nécessairement le cas. Par exemple, comme Schoenfeld (1988) et Gregg (1995) le soulignent, l'enseignement de la démonstration aux Etats-Unis ne semble pas encourager les activités d'argumentation. Bien qu'il y ait des tentatives qui soient parvenues à susciter la production d'argumentation du type de celles de Toulmin dans des classes de mathématiques (Fawcett, 1938/1995; Krummheuer, 1995), elles sont exceptionnelles. Nous craignons que ce fossé entre l'enseignement de la démonstration dans la classe de mathématique et les styles généraux de communication, puisse intensifier encore son isolation de la vie sociale aux Etats-Unis. ReferencesBarnlund D. C. (1975) Public and private self in
Japan and the United States: Communicative styles of two
cultures. Tokyo: The Simul Press.
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